12 Mai 2014, 12:36
Alors sur la question de l'édition indépendante, si tu as des questions, je crois que je peux essayer de t'y répondre. Je bosse pour deux éditeurs dits indépendants, et je travaille aussi sur des opérations de mise en valeur de l'édition indépendante en librairie et sur le net.
La définition d'un éditeur indépendant, stricto sensu, c'est la même que celle que Hugues donne de la librairie, c'est à dire un éditeur qui agit avec ses fonds propres, et pas pour le compte d'un groupe. Exemple: Grasset, ou Fayard appartiennent au groupe Hachette, Denoël appartient à Gallimard.... Ils ne sont donc pas indépendants. En revanche, Les Moutons électriques, Le Diable Vauvert, les éditions Toussaint Louverture (http://www.monsieurtoussaintlouverture.net/) ou Dystopia (http://www.dystopia.fr/) travaillent sur leurs fonds propres, et sont donc indépendants.
L'indépendance n'est certes pas un gage de qualité, comme il l'a été dit dans le podcast (et ce que nombre de ces éditeurs ont tendance à oublier), et de grands groupes publient des collections, ou des livres magnifiques. Mais, à l'heure actuelle, le vivier de création et de renouvellement de la littérature (et même plus largement du livre, autant texte qu'objet), c'est parmi les éditeurs indépendants qu'on le trouve, et ce, en grande partie pour des raisons économiques. Les grands groupes sont sur une stratégie à la fois du "coup" et du "classique", bref, de livres qui se vendent à grande échelle (disons à plus de 3000 exemplaires en moyenne, même si ce seuil diminue), soit sur un temps très court, soit sur un temps très long. Un livre qui ne s'impose pas un mois et demi après sa publication est mort et tous ses exemplaires (enfin la plupart) s'en vont joyeusement au pilon. Un éditeur indépendant de taille moyenne ou petite n'a pas les frais de structure des grosses boites. Il est souvent plus flexible quant à la commercialisation de ses livres et peut les pousser plus longtemps (1, 2, 5 ou même 10 ans). Il a besoin de moins de ventes immédiates pour rentrer dans ses frais (ça peut aller de 100 à 1200 ventes alors que pour un éditeur de groupe, 2500 ventes en très peu de temps est souvent un minimum). Il réalise souvent un travail éditorial plus poussé sur l'ouvrage: accompagnement de l'auteur sur des projets plus audacieux, travail sur la forme du livre, la qualité de fabrication ou les illustrations, découverte d'auteurs inconnus, de livres réputés impubliables.
Là encore, ce n'est pas inscrit dans le marbre. Certains grands éditeurs de groupe font encore ce travail, mais c’est quand même de plus ne plus rare.
On pourrait parler aussi des pratiques commerciales, des rapports avec les clients et les libraires...
12 Mai 2014, 13:26
12 Mai 2014, 14:31
12 Mai 2014, 17:54
12 Mai 2014, 17:56
13 Mai 2014, 20:12
Mangelune a écrit :De mon point de vue, le jeu de rôle (et donc son indépendance) posent des problèmes différents de ceux de l'édition traditionnelle : le nombre d'éditeurs de jdr est très restreint, de même que la capacité du marché à absorber les sorties, du coup il y a moins d'opportunités pour un auteur de percer. Cela signifie un intérêt à s'auto-publier pour gagner en visibilité, contrairement à l'édition "traditionnelle" où les sorties sont innombrables et où l'auto-publication est vue comme un domaine largement amateur (et généralement méprisé). Quelqu'un comme Thomas Munier pourrait peut-être en dire plus sur le sujet.
De plus, si les marges sont à peu près les mêmes que celles de l'édition (un écrivain de jdr reçoit 5-10 % du prix de vente hors taxes), les quantités sont moindres, du coup l'auteur de jdr (amateur ou pro, sauf rares exceptions) reçoit vraiment une misère pour son travail. L'indépendance a donc un intérêt économique à faire sauter les intermédiaires et collaborateurs pour tirer un revenu raisonnable de son travail.
Reste notamment la question du nombre de livres vendus pour une maison d'édition indépendante, et la comparaison avec les livres de jdr (qui peuvent s'écouler à 200-500 exemplaires sans que ce soit considéré comme un gros flop)
Si j'ai bien compris, on fait la différence en édition traditionnelle entre les termes "indépendant" et "auto-édité" :
- indépendant est employé surtout pour parler des libraires ou des éditeurs qui s'affranchissent de la tutelle des quelques grands groupes comme Hachette & co, ou qui sont possédés par ceux qui y travaillent directement (en schématisant, on peut dire que le propriétaire de librairie indépendante choisit et vend ses livres, le propriétaire de société d'édition indépendante sélectionne ses auteurs et les accompagne individuellement)
- auto-édité est appliqué aux auteurs qui ne passent par aucune structure pour publier leur livre.
13 Mai 2014, 20:39
14 Mai 2014, 18:15
14 Mai 2014, 19:15
Fabien @ InMediasRes a écrit :Car l'idée même de l'indépendance, au sens artistique, est de s'affranchir des contraintes du marché, qui vont brider la créativité voire disqualifier un projet peu susceptible de trouver preneur. Attention, nous parlons essentiellement du fond d'une oeuvre. Sa forme devant être chez l'indépendant autant (voire plus) irréprochable que celle des éditeurs en place. A moyens égaux s'entend.
Or les contraintes du marché, comment impactent-elles l'éditeur dans ses choix éditoriaux ?
1. l'oeuvre doit être en adéquation avec une cible suffisamment importante pour que les ventes rentabilisent le volume de production minimum
2. l'effort de diffusion de l'oeuvre auprès du public doit permettre de maintenir sa rentabilité
On peut y voir un cercle (vertueux ?) où plus la cible est importante, plus le produit bénéficiera d'une large diffusion, retombés médiatiques en sus. A ce stade, il s'agit de statistiques qui ne reflètent pas la réaction du marché. Il s'agit juste de quantifier (et modérer) le risque. Et c'est là où le cercle devient plutôt vicieux. Car pour limiter le risque et garder la plus grosse cible possible, les éditeurs / producteurs seront tentés de ne pas sortir des sentiers battus.
Un exemple : passionné de hockey, je décide de faire un jeu de plateau sur ce thème. En France, on compte moins de 200 000 licenciés (ice et rollers confondus) et qu'on peut estimer que moins de 20 % d'entre-eux s'intéressent aux jeux de société, autant dire que mon projet ne trouvera pas preneur.
Après il y a toujours moyen d'adapter le marché à son jeu : plutôt que de destiner mon jeu au marché français, je le diffuse exclusivement au Canada et en Europe de l'est où c'est le sport national comptant des millions de fans. Je peux aussi plier mon oeuvre aux caprices du marché et en faire un jeu de foot, multipliant ma cible et mon potentiel de ventes par 50. Mais puis-je alors toujours m'estimer indépendant ?...
Ce principe accepté, un autre en découle : plus un marché est grand plus il faut d'effort pour cibler un segment précis. Ex : si je fais une BD sur du retro-futur-policier-introspectif, j'aurai certainement un petit public intéressé par mon oeuvre, même assez nombreux pour rentabiliser un premier tirage. Mais comment toucher ce public noyé dans la masse des millions de lecteurs de BD, si je ne diffuse pas exagérément l'ouvrage ? Là se dessine les contours du problème : plus on sort des goûts grands public, plus les efforts de diffusion transforment le projet en suicide commercial. Même avec les baisses de coûts de diffusion et de productions apportées par le numérique. C'est pourquoi les gros éditeurs ne le feront pas, même s'ils en ont les moyens. Un indépendant généraliste n'y risquera pas non sa faible trésorerie.
Seul un indépendant spécialisé pourra tirer son épingle du jeu, en se spécialisant dans une niche du marché, pour autant qu'elle soit porteuse, et que l'indépendant ait la trésorerie pour sortir 2-3 publications qui lui permettront d'acquérir l'étiquette de "spécialisé dans".
Et dans tout cela, peu ou pas de place pour l'auto-édition.
Sans compter que le JdR en France (comme ailleurs) est loin d'être un marché au point mort. Et les petits éditeurs et auteurs auto-édités apportent aujourd'hui un souffle nouveau qui pourra amener de nouveaux joueurs dans le giron grâce à une image différente, moins geek et plus mature.
15 Mai 2014, 08:59
15 Mai 2014, 11:30
15 Mai 2014, 15:57
Frédéric a écrit :Sur la question de la beauté de l'objet et du maquettage : Un beau et grand livre cartonné et joliment maquetté coûte généralement plus cher à produire et à imprimer.
Frédéric a écrit :L'un des partis pris des indépendants américain (desquels on s'inspire par ici), c'est aussi de réduire ces coûts-là et de cette façon rentabiliser plus facilement leurs créations.
17 Mai 2014, 07:56
17 Août 2015, 11:07
17 Août 2015, 11:47
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