[Showdown] Le jeu VS mes attentes

Seth Ben-Ezra, déjà auteur d'un jeu qu'on aime pas beaucoup (Dirty Secret) et d'un jeu auquel personne n'ose jouer (Flowers for Mara qui parle de deuil), préparait depuis déjà plusieurs années son Showdown. Il s'agit d'un jeu pour deux joueurs où l'on raconte en parallèle le dernier affrontement entre deux personnages, affrontement qui se terminera par la mort de l'un d'eux, et une succession de flashbacks qui permettent de comprendre comment on en est arrivé là.
J'attendais le jeu avec impatience et, une fois autour de ma table de jeu, j'ai été très déçu.
Verre un petit peu plein quand même : je n'ai rarement été aussi conscient des choix de game-design me déplaisant dans un JDR. Il faut admettre que le jeu est radical dans ses choix de systèmes et il est du coup facile d'en isoler des sous-mécaniques et de comprendre pourquoi elles ne me conviennent pas.
Bref décortiquons tout ça !
L'intention du jeu :
J'ai pitché le jeu plus haut mais en laissant de côté un point de l'intention du jeu.
On incarne bien deux personnes amenées à se battre à mort, en jouant une succession de flashback permettant de comprendre comment leur relation à évoluer, mais en réalité le jeu est un peu plus restreint que ça.
Chacun des flashbacks où l'on joue un moment de la relation entre les deux combattants est un mini-conflit, quand on cadre le flashback on doit annoncer un objectif qui va à l'encontre des intérêts de l'autre joueur (bref on doit créer du conflit).
Le jeu à donc une structure fractale, on va jouer une succession de mini-conflit qui viennent interrompre un conflit global.
Ma critique : Je sais qu'on pourrait me reprocher de critiquer une intention mais je l'assume pleinement. Non seulement je pense que toutes les intentions ne se valent pas mais, dans le cas de ce jeu, je soupçonne la modestie de l'intention d'être un problème de game-design.
On a envie de pouvoir raconter comment une relation se détériore jusqu'à mener à un duel à mort. Par exemple de faire jouer le conflit entre deux anciens amants. Dans Showdown on se contente de raconter un conflit dont l'intensité escalade vers un paroxysme mortel.
Le système est tellement orienté dans une direction précise (le conflit) qu'il en oublie de produire des éléments fictionnels intéressants.
Dans ma partie : Avec mon compagnon de jeu, Antharia, nous avons joué dans un univers proche de The Wire mais se déroulant à Détroit.
J'incarnais un politicien cherchant à devenir maire de la vie, il y incarnait un tueur à gage ayant un sens de l'honneur (je devinais qu'il pensait au Omar de la série The Wire). Physiquement j'indiquais être boiteux, lui être un afro-américain musclé.
Les mécaniques de l'affrontement :
Showdown fait partie de ces jeux qui pourraient fonctionner sans fiction (comme l'Agence). Il dispose d'un système de jeu qui pourrait constituer les règles complètes d'un JDS abstrait.
Contrairement à l'Agence, Showdown articule à mon avis assez mal la fiction des mécaniques. Entrons dans le moteur.
Les deux joueurs bénéficient de 5 cartes d'attaque chacune associé à une paire de dés (2d4, 2d6, 2d8, 2d10, 2d12).
A chaque tour de jeu, les joueurs choisissent secrètement une carte d'attaque et lancent les deux dés correspondants. Ils lancent chacun un dé sur la case d'attaque et l'autre dé sur la case de flashback.
Pour gagner la main sur l'attaque il faut faire un haut score. Pour gagner la main sur le flashback il faut faire un bas score.
Exemple :
Je choisis la carte 2D4 et mon adversaire la carte 2D10.
Je lance un D4 sur la case d'attaque, lui un D10. Il fait un plus haut score que moi. Il gagne la main sur l'attaque.
Je lance un D4 sur la case de flashback, lui un D10. Je fais un plus bas score que lui. Je gagne la main sur la flashback.
Gagner la main sur un aspect du jeu donne un avantage mécanique.
Gagner la main sur l'attaque permet de récupérer ma carte d'attaque (l'adversaire s'en défausse et s'approche de la défaite qui intervient quand un joueur a perdu toutes ses cartes).
Gagner la main sur le flashback permet de modifier un trait sur la fiche de l'autre joueur (cela a un avantage mécanique que je ne détaille pas sur le combat final).
Par contre c'est le perdant d'un domaine qui décrit l'action.
Perdre la main sur le combat permet de décrire son échec.
Perdre la main sur le flashback permet de décrire la réussite de son adversaire pendant le flashback.
Plein de remarques :
C'est au fond un détail mais le fait que le perdant décrive est bien compréhensible rend les règles souvent contre-intuitives. Disons que c'est un problème de première partie.
La possibilité de décrire est en fait une possibilité de faire des monologues (non interrompu). Le système fonctionne comme un carcan qui régule la parole (c'est en partie ce qu'on lui demande) mais du coup il transforme la conversation (et sa dynamique) pour en faire quelque chose d'extrêmement figé. Quand on sort des mécaniques de jeux comme Swords without Master ou Les Petites Choses Oubliées ça fait un choc, brutal.
Le système implique de faire des choix complètement abstraits. Le fait de chercher à gagner la main sur le flashback au détriment de sa capacité à gagner un tour d'attaque n'a aucun sens intradiégétique, c'est une pure décision de joueur qui va à l'encontre des intérêts de mon personnage (Frédéric dirait, à raison, que la synesthésie est rompue).
Il s'agit d'un jeu avec ce que j'appelle des mécaniques de end-game abstraites. L'avancement du jeu est symbolisé par les cartes d'attaques, sortes de PVs, qui ne désignent pas des blessures concrètes. Résultats ce sont des mécanismes abstraites qui décident de la fin de la partie et de son rythme. Dans notre cas le fictionnel paroxysme du combat a eu lieu bien avant la fin, à rebours du climax mécanique. pire, les flashbacks finissaient par hacher de façon pénible le combat final et la partie a duré beaucoooup trop longtemps à notre goût. On était obligé d'inventer de nouvelles confrontations entre nos personnages (alors que mon personnage avait quand même réussi à envoyer le personnage d'Antharia en prison lors d'un flashback arrivé aux deux tiers de la partie)
Bref ma conclusion sera que le jeu permet d'isoler beaucoup de mécanismes que je n'aime pas. Le jeu est à mon avis à étudier pour comprendre les risques de abstraction des mécanismes et de l'absence de synesthésie dans les choix proposés aux joueurs.
Il me semble que tu étais dubitatif quand à l'existence des "machines à saucisses", j'ai l'impression d'en avoir trouvé une !
J'attendais le jeu avec impatience et, une fois autour de ma table de jeu, j'ai été très déçu.
Verre un petit peu plein quand même : je n'ai rarement été aussi conscient des choix de game-design me déplaisant dans un JDR. Il faut admettre que le jeu est radical dans ses choix de systèmes et il est du coup facile d'en isoler des sous-mécaniques et de comprendre pourquoi elles ne me conviennent pas.
Bref décortiquons tout ça !
L'intention du jeu :
J'ai pitché le jeu plus haut mais en laissant de côté un point de l'intention du jeu.
On incarne bien deux personnes amenées à se battre à mort, en jouant une succession de flashback permettant de comprendre comment leur relation à évoluer, mais en réalité le jeu est un peu plus restreint que ça.
Chacun des flashbacks où l'on joue un moment de la relation entre les deux combattants est un mini-conflit, quand on cadre le flashback on doit annoncer un objectif qui va à l'encontre des intérêts de l'autre joueur (bref on doit créer du conflit).
Le jeu à donc une structure fractale, on va jouer une succession de mini-conflit qui viennent interrompre un conflit global.
Ma critique : Je sais qu'on pourrait me reprocher de critiquer une intention mais je l'assume pleinement. Non seulement je pense que toutes les intentions ne se valent pas mais, dans le cas de ce jeu, je soupçonne la modestie de l'intention d'être un problème de game-design.
On a envie de pouvoir raconter comment une relation se détériore jusqu'à mener à un duel à mort. Par exemple de faire jouer le conflit entre deux anciens amants. Dans Showdown on se contente de raconter un conflit dont l'intensité escalade vers un paroxysme mortel.
Le système est tellement orienté dans une direction précise (le conflit) qu'il en oublie de produire des éléments fictionnels intéressants.
Dans ma partie : Avec mon compagnon de jeu, Antharia, nous avons joué dans un univers proche de The Wire mais se déroulant à Détroit.
J'incarnais un politicien cherchant à devenir maire de la vie, il y incarnait un tueur à gage ayant un sens de l'honneur (je devinais qu'il pensait au Omar de la série The Wire). Physiquement j'indiquais être boiteux, lui être un afro-américain musclé.
Les mécaniques de l'affrontement :
Showdown fait partie de ces jeux qui pourraient fonctionner sans fiction (comme l'Agence). Il dispose d'un système de jeu qui pourrait constituer les règles complètes d'un JDS abstrait.
Contrairement à l'Agence, Showdown articule à mon avis assez mal la fiction des mécaniques. Entrons dans le moteur.
Les deux joueurs bénéficient de 5 cartes d'attaque chacune associé à une paire de dés (2d4, 2d6, 2d8, 2d10, 2d12).
A chaque tour de jeu, les joueurs choisissent secrètement une carte d'attaque et lancent les deux dés correspondants. Ils lancent chacun un dé sur la case d'attaque et l'autre dé sur la case de flashback.
Pour gagner la main sur l'attaque il faut faire un haut score. Pour gagner la main sur le flashback il faut faire un bas score.
Exemple :
Je choisis la carte 2D4 et mon adversaire la carte 2D10.
Je lance un D4 sur la case d'attaque, lui un D10. Il fait un plus haut score que moi. Il gagne la main sur l'attaque.
Je lance un D4 sur la case de flashback, lui un D10. Je fais un plus bas score que lui. Je gagne la main sur la flashback.
Gagner la main sur un aspect du jeu donne un avantage mécanique.
Gagner la main sur l'attaque permet de récupérer ma carte d'attaque (l'adversaire s'en défausse et s'approche de la défaite qui intervient quand un joueur a perdu toutes ses cartes).
Gagner la main sur le flashback permet de modifier un trait sur la fiche de l'autre joueur (cela a un avantage mécanique que je ne détaille pas sur le combat final).
Par contre c'est le perdant d'un domaine qui décrit l'action.
Perdre la main sur le combat permet de décrire son échec.
Perdre la main sur le flashback permet de décrire la réussite de son adversaire pendant le flashback.
Plein de remarques :
C'est au fond un détail mais le fait que le perdant décrive est bien compréhensible rend les règles souvent contre-intuitives. Disons que c'est un problème de première partie.
La possibilité de décrire est en fait une possibilité de faire des monologues (non interrompu). Le système fonctionne comme un carcan qui régule la parole (c'est en partie ce qu'on lui demande) mais du coup il transforme la conversation (et sa dynamique) pour en faire quelque chose d'extrêmement figé. Quand on sort des mécaniques de jeux comme Swords without Master ou Les Petites Choses Oubliées ça fait un choc, brutal.
Le système implique de faire des choix complètement abstraits. Le fait de chercher à gagner la main sur le flashback au détriment de sa capacité à gagner un tour d'attaque n'a aucun sens intradiégétique, c'est une pure décision de joueur qui va à l'encontre des intérêts de mon personnage (Frédéric dirait, à raison, que la synesthésie est rompue).
Il s'agit d'un jeu avec ce que j'appelle des mécaniques de end-game abstraites. L'avancement du jeu est symbolisé par les cartes d'attaques, sortes de PVs, qui ne désignent pas des blessures concrètes. Résultats ce sont des mécanismes abstraites qui décident de la fin de la partie et de son rythme. Dans notre cas le fictionnel paroxysme du combat a eu lieu bien avant la fin, à rebours du climax mécanique. pire, les flashbacks finissaient par hacher de façon pénible le combat final et la partie a duré beaucoooup trop longtemps à notre goût. On était obligé d'inventer de nouvelles confrontations entre nos personnages (alors que mon personnage avait quand même réussi à envoyer le personnage d'Antharia en prison lors d'un flashback arrivé aux deux tiers de la partie)
Bref ma conclusion sera que le jeu permet d'isoler beaucoup de mécanismes que je n'aime pas. Le jeu est à mon avis à étudier pour comprendre les risques de abstraction des mécanismes et de l'absence de synesthésie dans les choix proposés aux joueurs.
Il me semble que tu étais dubitatif quand à l'existence des "machines à saucisses", j'ai l'impression d'en avoir trouvé une !