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Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

24 Sep 2015, 16:09

Nouvel article dont les difficultés sont partiellement à l'origine du démangement du site !

Cette fois-ci, j'essaie de trouver en quoi Poltergeists (Murderous Ghosts) de Vincent Baker apporte quelque chose de fascinant dans la même en scène de l'horreur rolistique, et comme de bien entendu je relie cela à la métafiction.

Plus de détails ici : Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

Re: Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

25 Sep 2015, 00:03

Alors, tout d'abord :
A mon sens, Baker tente quelque chose de totalement nouveau en mettant clairement ici la dimension méta-fictionnelle au service de l’horreur. C’est là quelque chose qu’aucun roman ou film ne pourra jamais faire, menacer un joueur avec sa propre imagination, le contraindre à concevoir le pire et à se faire le complice de son effroi, sans pour autant lui laisser le loisir de se détacher complètement de son alter-ego et de se mettre en posture d’auteur.


Oh, putain ! Oui !
Une des fucking forces du JdR : il ne titille pas notre imagination comme le roman ou le cinéma, il la met dans l'assiette !

Les pensées du personnage, voie royale vers la métafiction ?

Oh mais ouiiiiii !
J'irais même plus loin : les jeux qui se permettent de proposer des règles ou des responsabilités qui nous font sortir de notre personnage, sans tomber dans le "mode auteur" sont ceux qui exploitent ce lien avec les pensées du personnage !

J'avais vaguement abordé ça dans le podcast de la Cellule sur le Positionnement et Défendre les intérêts du personnage :
  1. Si je (joueur) décide qu'il y a un lustre pour tirer dedans pour le faire tomber sur mes ennemis, ça fonctionne, parce que mon personnage n'aurait jamais eu l'idée d'une telle action s'il n'avait pas vu le lustre avant.
  2. Si je dépense un point de "créativité" pour dire qu'il y a un lac plus loin, c'est naze. En revanche, si je décris le lac que voit mon personnage, ça fonctionne déjà mieux dans certains jeux (ex : dans Prosopopée). Enfin, si mon personnage a, par exemple lu des choses sur le monde et que le joueur invente : je me rappelle, page 87, le chapitre sur la région Panacea où nous nous trouvons décrit un lac un peu plus loin, dont les eaux auraient des vertus médicinales ! (Sphynx ; Imaginarium). À chaque fois ces exemples fonctionnent du tonnerre, parce qu'ils utilisent la connexion avec les pensées (ou savoirs) ou stimulus internes pour recréer la connexion avec le personnage.


Au passage : j'ai à peu près ressenti quelque chose de similaire pour Murderous Ghosts : un jeu qui m'a époustouflé de par ses idées et sa conception, mais où je me suis fait chier en y jouant. Idem pour Poison'd, d'ailleurs.
Mais pour MG, là où j'étais vraiment frustré, c'est qu'en tant que fantôme, j'ai passé mon temps à essayer d'inventer des raisons aux apparitions, j'ai essayé de recréer un passé cohérent (un peu à la Silent Hill), avec toute une histoire troublante, voire choquante. C'était ce qui me venait naturellement, et en fait, le jeu ne l'incite pas et botte le train même de l'envie d'aller dans cette direction en disant que le joueur du fantôme doit faire en sorte que l'autre ne comprenne rien à ce qu'il se passe. Et là, je suis désolé monsieur Baker, mais raconter des successions d'images macabres sans queue ni tête, ça me faisait peur quand j'avais 10 ans, mais je suis grand maintenant, je ne crois plus aux fantômes, et si ces visions macabres sont soutenues par des raisons psychotiques, bouleversantes, nauséeuses ou qui me foutent la boule au ventre, là ça peut me déranger et me faire vraiment flipper.

Bref, un jeu pas pour moi.

Re: Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

25 Sep 2015, 07:33

Vivien, tu proposes là un article très intéressant qui ouvre la voie à la réflexion !

Re: Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

25 Sep 2015, 13:04

La conclusion me semble très bien résumer tout le problème du jeu de rôle horrifique : essayer de s'effrayer soi-même, c'est très très TRES difficile.

Pour moi ce qui fait que l'horreur fonctionne, c'est l'étrangeté, au sens de "ce qui m'est étranger". Or le jeu de rôle est à mon sens une activité où chacun cherche à s'approprier une fiction. Rendre étranger une fiction qu'il faut s'approprier... he bah c'est un réel challenge.

Pour information, la partie qui m'avait jusqu'à présent le plus communiqué le sentiment d'horreur est une partie de Perdu Sous la Pluie (dont le CR se promène quelque part sur le forum). Vivien, tu peux donc frimer en disant que ton jeu est capable de communiquer le sentiment d'horreur. Je pense qu'en l’occurrence le sentiment d'horreur venait du fait que nous savions tous qu'il n'en resterait qu'un, et que des choses horribles arriveraient à un moment, sans savoir "d'où ça pourrait venir". C'était cette attente de l'horreur qui fonctionnait très bien. La responsabilité de l'horreur était partagée entre nous tous, et il fallait parfois se décider à monter au front pour horrifier les autres. Et on n'en avait pas plus envie que ça.. A vrai dire, j'ai ressenti autour de la table comme une réticence à raconter ce qui allait se passer, non pas par ennui ou quoi, mais par "peur de ce qu'on allait finir par raconter". Et je pense que la véritable horreur est LA. Dans la peur de voir son propre esprit et sa propre imagination devenir étrangère à soi-même.

Re: Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

25 Sep 2015, 13:30

Je me demande si ce n'est pas lié aux trois peurs de la créativité (la peur de paraître obscène, de paraître fou, de paraître inintéressant...) : dans les jeux d'horreurs, quand tu te retrouves chargé de narrer quelque chose d'horrible, tu as ce picotement parce que tu as appréhendes ce que tu vas dire, et tu appréhendes la réaction des autres.

Re: Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

25 Sep 2015, 17:10

En tous cas je suis très content que ça vous plaise, j'ai tourné autour un sacré moment (et que Perdus ait cet effet sur Guylène ou moi).

Thomas > je ne sais pas d'où vient cette théorie des 3 peurs de la créativité, je me souviens avoir entendu Fabien en parler dans un podcast. J'ai en revanche trouvé "la peur de perdre le contrôle" dans cet article du Harvard Business Review https://hbr.org/2012/12/reclaim-your-creative-confidence/ar/1 C'est peut-être étrange de voir des gens apprécier sa propre idée et puis vous la prendre, vous en déposséder et la retourner contre vous ?

Re: Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

25 Sep 2015, 17:15

Les trois peurs face à la spontanéité sont de Keith Johnstone dans son livre Impro : le Théâtre et l'improvisation.
Elles sont expliquées dans cet article de PTGPTB : http://ptgptb.free.fr/daedalus/impro.htm

Re: Poltergeists ou l’horreur métafictionnelle

29 Sep 2015, 21:22

Cet article est simple et génial ! De toute façon, ce terme : "méta-fictionnel" débloque tellement de bonnes idées ! C'est génial ! Bravo, Vivien. On en reparlera aux Utopiales. Je vais animer une masterclass sur le Mealstrom et entre le vide fertile de Fred et ton JDR comme pratique méta-fictionnelle, je crois que je vais encore pouvoir abondamment citer les copains ;) J'ai vraiment la sensation que ces théories vont dans le bon sens.
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