par Brisecous (Mathieu) » 29 Oct 2016, 01:36
Salut,
Philippe, Valentin, merci pour vos messages qui sont très instructifs et m'ont apporté une vision plus large de la question. J'ai noté quelques éléments que je partage avec vous :
- Tout comme Sildoenfein, je pense qu'il est impossible de ne pas catégoriser. C'est inhérent à l'esprit humain. Lutter contre la catégorisation est souhaitable. C'est comme tu le fais remarquer, Valentin, un travail de tous les instants, qui nécessite un long travail de réflexion personnelle et d'introspection. Il me semble difficile de proposer un outil global à un large public qui se passe de catégorisation.
- Les catégories sont le fruit d'une réalité. D'une réalité simplifiée, certes. Le problème n'est pas la catégorie mais le traitement qu'on en fait, le présupposé ou le préjugé que l'on place derrière. Catégoriser, c'est même le propre du JDR et plus largement des jeux. On met la réalité en cases afin de pouvoir la quantifier et afin de pouvoir la gérer grâce au système de jeu.
- Valentin, tes tables de 3D10 sont intéressantes, elles rejoignent un peu ce que propose Thomas Munier. Elles me semblent une autre forme de catégorisation. Ta grille d'analyse est plus fine - et donc plus complexe - que ce que je propose, elle présente malgré tout ses limites : limites de la capacité de la personne qui les conçoit à ne pas catégoriser, et limites du nombre de possibilités de chacune des catégories (genre, tenue...) que tu définis.
- Tu utilises des termes comme "personne à la peau très sombre" pour parler de ce que j'appelle "un noir". Je ne cautionne pas cette novlangue qui consiste à appeler un aveugle une personne non-voyante et un noir une "personne issue de l'immigration". Cette volonté de contourner la discrimination en changeant l'étiquette sur la case ne me semble pas efficace. C'est considérer que le mot "noir" serait discriminant, quand il fait référence à une particularité physique. Ce changement d'étiquette n'aura d'effet que chez ceux qui sont déjà sensibles à cette question, et n'ont donc pas besoin d'être sensibilisés. Chez un raciste, le changement d'étiquette n'impactera pas sur le racisme et la discrimination qu'il fera subir aux autres. Parce que lui, la discrimination il ne la fait pas sur le terme, mais sur la particularité physique. Une discrimination est par nature arbitraire. Par ailleurs, cela complexifie fortement le langage, ce qui me semble contre-productif dans un outil dont l'objectif est à la fois ludique et éducatif.
- Quelle que soit la gradation que l'on choisit dans la description des catégories, on en vient toujours au moment où l'on doit restreindre notre liste. Que la liste ait 4, 10 ou 200 choix, on en revient à placer des personnes dans des cases et à les définir d'après des particularités physiques ou psychiques que l'on est obligés de simplifier. Sachant que c'est une personne tierce qui s'approprie l'outil que l'on propose et qu'elle a sa propre interprétation de nos catégories.
- Se pose la question de l'inclusivité idéale et de l'inclusivité améliorée. Valentin, j'ai le sentiment que tu prônes une inclusivité idéale et que tu proposes un outil pour y parvenir, tout en étant conscient que tu n'y parviens que partiellement et que ta méthode est complexe. Je pense que l'outil que tu proposes permet une meilleure inclusivité que le mien. En revanche, il me semble beaucoup plus complexe. Mon outil vise une meilleure inclusivité et tente de rester le plus simple possible. J'ai gardé les catégories parce que je préfère garder le rôle un peu discriminatoire du noir intelligent, plutôt que de discriminer complètement les noirs. Je pense que cela oblige les gens à se poser la question du regard qu'ils portent sur les différentes catégories et que c'est mieux que rien. Surtout, je pense que c'est applicable par tout le monde.
- Les anti-stéréotypes me semblent le point le plus douteux de mon outil. Cependant, ils me semblent également le point le plus vital. Ils permettent de questionner un public qui serait sujet à ces stéréotypes. Si l'on ne précise pas qu'un homosexuel peut être un père de famille responsable, on court le risque d'avoir des personnages homosexuels caricaturaux dans la partie si le MJ est influencé par les préjugés sur les homosexuels. C'est un premier pas de penser à intégrer un homo dans le jeu (ce que j'appelle le critère de présence) ; il est inutile si l'on ne casse pas les préjugés sur les homosexuels, et pour cela l'outil doit proposer une solution. Je n'en ai pas trouvé d'autre pour le moment que ce concept d'anti-stéréotype partiellement discriminatoire, mais de mon point de vue moins discriminatoire que si je ne proposais rien. J'ai essayé de calibrer mon outil selon ces deux critères : ses limites, mais aussi ce qu'il permet.
- Les catégories discriminatoires de mon outil ou de celui de Sildoenfein sont invisibles des joueurs puisque l'outil est géré par le MJ. Ces cases ne peuvent donc pas être discriminatoires pour eux ou dans leur esprit. Dans un jeu avec MJ, le MJ gère ces discriminations, ce qui permet de les supprimer de la partie que vivent les joueurs. Les joueurs ne voient pas la case cochée du noir très érudit, ils voient qu'un noir est très érudit, et que c'est considéré comme normal dans la fiction.
- Mon outil d'inclusivité doit entrer dans une page A4 et être utilisable tel quel par le MJ lors d'une partie. Ce sont les contraintes que je me suis fixées. Je considère comme inapplicable dans le cadre d'un outil global, toute solution qui ne puisse pas respecter ces contraintes. Dans le cadre d'un outil personnel, c'est différent.
J'ai conçu mon outil comme une imperfection pragmatique. Je ne vois pas comment intégrer vos remarques tout à fait fondées dans un système qui reste simple d'utilisation pour un public standard. La solution serait probablement de creuser du côté du générateur d'empathie, ou plus globalement, de ce qui incite les joueurs à changer de paradigme dans la fiction par rapport à une particularité ou un handicap.
J'accueillerai avec grand plaisir la nouvelle version de ton outil d'inclusivité, Philippe. :)