[Island in a Sea of Solitude] Lili et Jo

Bonsoir à vous,
Cette semaine, Steve et moi-même avons testé le nouveau jeu de Ben Lehman : Island in a Sea of Solitude.
Il s'agit d'un jeu freeform (mais avec Steve aux manettes, vous l'aurez déjà deviné !) pour deux joueurs.
Description du jeu :
Après un accident, ou une maladie, l'être que vous aimiez est mort. Mais au milieu du chagrin, un réconfort : ils l'ont rappelé et ont accepté de vous laisser lui parler une dernière fois, pour résoudre les ultimes questions, les non-dits restés en suspend, ou déclarer votre amour. Le rappel coûte évidemment excessivement cher et votre assurance a accepté de vous accorder 30 minutes, ce qui est une chance inestimable.
2 joueurs : l'un interprète le vivant, l'autre le décédé. (notez que le jeu permet d'ajouter un troisième joueur pour un deuxième vivant)
Toute la partie doit idéalement se passer par video-chat. Nous avons donc utilisé Hangout pour l'occasion.
Les personnages :
Nous avons choisi d'interprété Johan et Adelaïde, qui sont faux-jumeaux et qui ont la trentaine. Adélaïde est décédée récemment. Ce sera mon rôle, à Steve reviendra celui de Johan, toujours en vie.
D'un commun accord, la cause du décès d'Adélaïde est inconnue de Johan.
Nous n'avons pas besoin de décider de plus de chose entre nous. Le jeu nous demande de nous isoler 20 minutes avant de jouer afin de décider chacun de notre côté de ce qu'à été la relation entre nos deux personnages.
Adélaïde :
Durant ces 20 minutes, j'ai décidé qu'Adélaïde était morte dans un accident de voiture en revenant d'une soirée où elle avait abusé de la drogue. Il me semblait intéressants que ces jumeaux, très attachés l'un à l'autre, aient été séparés au moment fatidique des études supérieures et du symbolique "passage à l'âge adulte", et que Lili soit partie en vrille petit à petit.
On verra que ce postulat de base a été amendé au fil de la partie avec les paroles de Johan.
Les règles me demandaient de choisir 3 souvenirs :
- Les lumières dansantes qui tournent et filent comme des étoiles
- Une injustice tenace, la sensation d'être laissée de côté au moment fatidique des études supérieures "Lui devant les résultats du concours qui devait nous mener dans la même école".
- Deux ombres d'enfants qui se mêlent sous un grand soleil pour n'en former plus qu'une seule et unique, indistincte, assorti d'un immense sentiment de joie.
Au delà de ces quelques informations, les règles précisent que tous les souvenirs du décédé sont altérés, flous, et que même sa conscience du monde est très partielle. Le seul sentiment véritablement tenace qui lui reste est l'importance du lien qui l'unissait au vivant, et la volonté d’apaiser ce dernier avant que le temps imparti soit révolu.
Conscience GNistique oblige, j'ai mis la pièce dans le noir, allumé quelques bougies sur le bureau et lancé une musique d'ambiance en fond avant de relancer le chat vidéo. Le jeu est clair : "au bout de trente minutes, coupez la vidéo et mourrez."
A peine le temps de dire...
Durant les 30 minutes de leur ultime entretien, Lili et Jo vont finalement échanger des banalités touchantes. Jo refuse d'évoquer le décès de sa sœur, mais il voulait s'excuser : ébranlé par leur enfance en famille d'accueil, devenu mauvais garçon, il a fait quelques gardes à vue et n'a plus donné signe de vie véritablement. Il n'y avait que Noël pour réunir la fraternité séparée par le temps.
Il s'en veut de n'avoir pas trouvé le courage d'aller voir sa sœur à l'hôpital et voilà qu'elle est morte.
La conscience de Lili est bouleversée par le processus : elle n'a pas conscience de son véritable état, tout au plus ne sent elle qu'un froid de plus en plus tenace. Ses souveirs confus se mélangent sans égard pour le temps : les études d'art, leur chatte Misty qui se sauvait toujours de chez eux, les factures non payées, les excès de dope et d'alcool pour tenter d'atteindre son frère dans son côté bad boy.
Plus Johan évoque l’hôpital, la mort de Lili, et son chagrin, plus Lili se souvient. La voiture. Eric qui a trop bu et elle aussi. La sensation d'avoir son frère à ses côtés dans le véhicule. Ils se disent qu'ils s'aiment, Jo joue le jeu, ils évoquent le prochain Noël, puis "Attention Eric, le camion !". Et fin.
Retour :
C'est très difficile de vous parler du maelstrom de cette partie parce qu'il n'y a rien de notable dans les situations évoquées. Mais émotionnellement, belle aventure !
Le jeu a été probablement écrit pour des personnages en couple (la question des enfants, des dettes, des procédures légales, est mentionnée dans les règles) mais je ne suis pas à l'aise pour jouer ce genre de relation. Le jeu marche néanmoins très bien aussi avec une relation type frère/sœur comme ici.
J'ai eu un souci majeur avec le jeu : les règles présentent véritablement le décédé comme quasi amnésique. Afin, bien sûr, d'empêcher deux situations complètement différentes de se catapulter et de faire capoter le jeu.
Mais je n'aime guère ce procédé de l'amnésie parce que je le trouve très creux. Mon expérience de GN m'a conforté dans l'idée que ce n'est pas une posture confortable, ni même dynamique pour un joueur. J'ai donc amendé cette situation de départ en donnant plus de souvenirs à Lili au fur et à mesure du jeu, comme si la présence de Jo la ramenait chez les vivants.
Le chat vidéo est un sacré dispositif ! Contrairement à Amid Endless Quiet, toujours de Ben Lehman, je n'avais pas du tout la sensation de faire de la représentation pour plaire au groupe. Je retrouvais la simplicité instantanée qu'on a dans le GN, très intimiste, très directe.
Je crois que selon les joueurs, une partie de IIASOS peut être aussi bien leadée par le vivant que par le décédé, même si c'est le vivant qui a finalement le dernier mot.
Du coup, notre équilibre a fait que j'ai peut-être plus réfléchi au timing des informations, à quelques effets de style comme la dernière phrase qui révèle la cause du décès à Jo, etc. Néanmoins je n'avais rien prévu et j'ai tout improvisé au feeling.
Conclusion :
J'adore ces jeux à deux, où par une alchimie étrange, toutes ces petites évocations très basiques deviennent des magies de symbolisme. Le chat qui fuit, revient et n'en ait qu'à sa tête est devenue une métaphore filée de la relation entre Jo et Lili. Noël, cette convention sociale sans aucun sens prend soudain une proportion nostalgique énorme. 30 minutes, cela me paraissait vraiment très long à la lecture, presque inatteignable, et finalement elles sont passées très bien. On aurait pu arrêter un peu avant, mais j'ai trouvé les derniers silences gênants vraiment très beaux et lourds d'émotions.
Le dispositif chat-vidéo est vraiment intéressant. J'ai toujours trouvé que les logiciels avaient le défaut de présenter une miniature de vous-même dans un coin du cadre, et qu'elle capte narcissiquement l'attention quand on parle. Du coup, je me suis forcée à regarder Steve "dans les yeux", c'est à dire qu'il n'a été pour moi que la petite lumière blanche de ma webcam tout le long de la partie. C'est assez fort et très perturbant.
Je ne sais pas si je referais cent parties d'IIASOS mais j'ai vraiment beaucoup aimé celle-ci, notamment parce qu'elle libère -paradoxalement- du biais de la représentation. J'avais peur que cet effet vidéo ne me gène (et les 2 premières minutes sont assez bizarres, on se demande ce qu'on fout là...) mais le résultat m'a carrément rassuré.
Cette semaine, Steve et moi-même avons testé le nouveau jeu de Ben Lehman : Island in a Sea of Solitude.
Il s'agit d'un jeu freeform (mais avec Steve aux manettes, vous l'aurez déjà deviné !) pour deux joueurs.
Description du jeu :
Après un accident, ou une maladie, l'être que vous aimiez est mort. Mais au milieu du chagrin, un réconfort : ils l'ont rappelé et ont accepté de vous laisser lui parler une dernière fois, pour résoudre les ultimes questions, les non-dits restés en suspend, ou déclarer votre amour. Le rappel coûte évidemment excessivement cher et votre assurance a accepté de vous accorder 30 minutes, ce qui est une chance inestimable.
2 joueurs : l'un interprète le vivant, l'autre le décédé. (notez que le jeu permet d'ajouter un troisième joueur pour un deuxième vivant)
Toute la partie doit idéalement se passer par video-chat. Nous avons donc utilisé Hangout pour l'occasion.
Les personnages :
Nous avons choisi d'interprété Johan et Adelaïde, qui sont faux-jumeaux et qui ont la trentaine. Adélaïde est décédée récemment. Ce sera mon rôle, à Steve reviendra celui de Johan, toujours en vie.
D'un commun accord, la cause du décès d'Adélaïde est inconnue de Johan.
Nous n'avons pas besoin de décider de plus de chose entre nous. Le jeu nous demande de nous isoler 20 minutes avant de jouer afin de décider chacun de notre côté de ce qu'à été la relation entre nos deux personnages.
Adélaïde :
Durant ces 20 minutes, j'ai décidé qu'Adélaïde était morte dans un accident de voiture en revenant d'une soirée où elle avait abusé de la drogue. Il me semblait intéressants que ces jumeaux, très attachés l'un à l'autre, aient été séparés au moment fatidique des études supérieures et du symbolique "passage à l'âge adulte", et que Lili soit partie en vrille petit à petit.
On verra que ce postulat de base a été amendé au fil de la partie avec les paroles de Johan.
Les règles me demandaient de choisir 3 souvenirs :
- Les lumières dansantes qui tournent et filent comme des étoiles
- Une injustice tenace, la sensation d'être laissée de côté au moment fatidique des études supérieures "Lui devant les résultats du concours qui devait nous mener dans la même école".
- Deux ombres d'enfants qui se mêlent sous un grand soleil pour n'en former plus qu'une seule et unique, indistincte, assorti d'un immense sentiment de joie.
Au delà de ces quelques informations, les règles précisent que tous les souvenirs du décédé sont altérés, flous, et que même sa conscience du monde est très partielle. Le seul sentiment véritablement tenace qui lui reste est l'importance du lien qui l'unissait au vivant, et la volonté d’apaiser ce dernier avant que le temps imparti soit révolu.
Conscience GNistique oblige, j'ai mis la pièce dans le noir, allumé quelques bougies sur le bureau et lancé une musique d'ambiance en fond avant de relancer le chat vidéo. Le jeu est clair : "au bout de trente minutes, coupez la vidéo et mourrez."
A peine le temps de dire...
Durant les 30 minutes de leur ultime entretien, Lili et Jo vont finalement échanger des banalités touchantes. Jo refuse d'évoquer le décès de sa sœur, mais il voulait s'excuser : ébranlé par leur enfance en famille d'accueil, devenu mauvais garçon, il a fait quelques gardes à vue et n'a plus donné signe de vie véritablement. Il n'y avait que Noël pour réunir la fraternité séparée par le temps.
Il s'en veut de n'avoir pas trouvé le courage d'aller voir sa sœur à l'hôpital et voilà qu'elle est morte.
La conscience de Lili est bouleversée par le processus : elle n'a pas conscience de son véritable état, tout au plus ne sent elle qu'un froid de plus en plus tenace. Ses souveirs confus se mélangent sans égard pour le temps : les études d'art, leur chatte Misty qui se sauvait toujours de chez eux, les factures non payées, les excès de dope et d'alcool pour tenter d'atteindre son frère dans son côté bad boy.
Plus Johan évoque l’hôpital, la mort de Lili, et son chagrin, plus Lili se souvient. La voiture. Eric qui a trop bu et elle aussi. La sensation d'avoir son frère à ses côtés dans le véhicule. Ils se disent qu'ils s'aiment, Jo joue le jeu, ils évoquent le prochain Noël, puis "Attention Eric, le camion !". Et fin.
Retour :
C'est très difficile de vous parler du maelstrom de cette partie parce qu'il n'y a rien de notable dans les situations évoquées. Mais émotionnellement, belle aventure !
Le jeu a été probablement écrit pour des personnages en couple (la question des enfants, des dettes, des procédures légales, est mentionnée dans les règles) mais je ne suis pas à l'aise pour jouer ce genre de relation. Le jeu marche néanmoins très bien aussi avec une relation type frère/sœur comme ici.
J'ai eu un souci majeur avec le jeu : les règles présentent véritablement le décédé comme quasi amnésique. Afin, bien sûr, d'empêcher deux situations complètement différentes de se catapulter et de faire capoter le jeu.
Mais je n'aime guère ce procédé de l'amnésie parce que je le trouve très creux. Mon expérience de GN m'a conforté dans l'idée que ce n'est pas une posture confortable, ni même dynamique pour un joueur. J'ai donc amendé cette situation de départ en donnant plus de souvenirs à Lili au fur et à mesure du jeu, comme si la présence de Jo la ramenait chez les vivants.
Le chat vidéo est un sacré dispositif ! Contrairement à Amid Endless Quiet, toujours de Ben Lehman, je n'avais pas du tout la sensation de faire de la représentation pour plaire au groupe. Je retrouvais la simplicité instantanée qu'on a dans le GN, très intimiste, très directe.
Je crois que selon les joueurs, une partie de IIASOS peut être aussi bien leadée par le vivant que par le décédé, même si c'est le vivant qui a finalement le dernier mot.
Du coup, notre équilibre a fait que j'ai peut-être plus réfléchi au timing des informations, à quelques effets de style comme la dernière phrase qui révèle la cause du décès à Jo, etc. Néanmoins je n'avais rien prévu et j'ai tout improvisé au feeling.
Conclusion :
J'adore ces jeux à deux, où par une alchimie étrange, toutes ces petites évocations très basiques deviennent des magies de symbolisme. Le chat qui fuit, revient et n'en ait qu'à sa tête est devenue une métaphore filée de la relation entre Jo et Lili. Noël, cette convention sociale sans aucun sens prend soudain une proportion nostalgique énorme. 30 minutes, cela me paraissait vraiment très long à la lecture, presque inatteignable, et finalement elles sont passées très bien. On aurait pu arrêter un peu avant, mais j'ai trouvé les derniers silences gênants vraiment très beaux et lourds d'émotions.
Le dispositif chat-vidéo est vraiment intéressant. J'ai toujours trouvé que les logiciels avaient le défaut de présenter une miniature de vous-même dans un coin du cadre, et qu'elle capte narcissiquement l'attention quand on parle. Du coup, je me suis forcée à regarder Steve "dans les yeux", c'est à dire qu'il n'a été pour moi que la petite lumière blanche de ma webcam tout le long de la partie. C'est assez fort et très perturbant.
Je ne sais pas si je referais cent parties d'IIASOS mais j'ai vraiment beaucoup aimé celle-ci, notamment parce qu'elle libère -paradoxalement- du biais de la représentation. J'avais peur que cet effet vidéo ne me gène (et les 2 premières minutes sont assez bizarres, on se demande ce qu'on fout là...) mais le résultat m'a carrément rassuré.