Salut Aristide,
Ne t'inquiète pas, je pense que personne ne voit dans ton expression "Univers lourd" une formulation péjorative. Et encore merci de t'intéresser à mon travail.
Pour répondre à ta question, je n'ai pas de bibliographie en tête sur le sujet, à part un
fil de forumque j'ai initié, et je serais tout aussi preneur que toi d'autres références.
A défaut de bibliographie, je peux expliquer comment je vois les choses.
Quand on commence à imaginer un jeu de rôle, on commence souvent (mais pas forcément) par l'univers.
Je vais prendre des exemples. Ils sont sans doute un peu caricaturaux, mais j'essaye d'être clair, pas de stigmatiser des dogmatismes de game design.
La démarche classique, disons typique des années 80-90, c'était de dégager de cet univers plusieurs sortes d'enjeux fictionnels, et de là tenter d'élaborer un système qui fournissait plusieurs sortes d'enjeux ludiques pour coller à ces enjeux fictionnels. ça explique des systèmes complexes, avec beaucoup de jeu dans le jeu. Exemple,
L5R avec un complexe sous-système de combat et un autre complexe sous-système d'honneur, parce
L5R propose à la fois d'être un jeu sur le combat et un jeu sur l'honneur. Le problème de cette démarche, c'est que les jeux qui proposent des enjeux fictionnels différents et parfois trop contradictoires peuvent paraître non fonctionnels ou trop compliqués. ça a aussi entraîné une tendance à certains jeux de proposer des règles pour tout, y compris pour ce qui ne rentre dans aucun des enjeux fictionnels. (l'exemple classique, c'est de vouloir mettre des règles de combat dans des univers pacifistes). Je ne te parle même pas des jeux qui ne propose aucun enjeu fictionnel, préférant prévoir toutes les éventualités (c'est la démarche de
Rolemaster et d'autres jeux génériques.)
La démarche forgienne s'est bâtie en opposition à cette première démarche. Beaucoup de jeux forgiens ou d'inspiration forgienne se sont bâtis sur l'idée = une seule sorte d'enjeu fictionnel, une seule sorte d'enjeu ludique. Dans
Dogs in the vineyard, l'univers entier est au service d'une seule problématique, d'un seul type d'enjeu fictionnel : la foi légitime-t-elle la violence ? Je parierais fort que Vincent Baker a d'abord bien cogité sa problématique avant de finaliser son univers. A mon sens, il a pu commencer par se dire : "je veux qu'on joue des mormons dans le far west", puis il a bâti sa problématique, puis il a étoffé tout l'univers, avec les villages, le livre de la foi, la sorcellerie, les démons... avec des allers et retours vers les enjeux fictionnels et ludiques. Le problème de cette démarche, c'est que ça peut créer une frustration. Ainsi,
Casus Belli reproche à
Monostatos de ne proposer pour seul enjeu fictionnel que de combattre la tyrannie de Monostatos, alors que l'univers promettait d'autres enjeux fictionnels, tel la lutte contre l'attrition dans le désert, ou l'exploration des fascinantes contrées désertiques.
Je dis que c'est une démarche forgienne, mais ça a surtout été verbalisé par la Forge. Je crois que
Donjons & Dragons (porte-monstre-trésor dans un univers med-fan) et
L'Appel de Cthulhu (enquête horrifique dans un univers lovecraftien) étaient exactement basés sur cette démarche
En fait, la démarche que j'ai avec
Millevaux essaye de tirer le meilleur des deux mondes. A force de jouer, je me suis rendu compte que j'avais envie de proposer une multitude d'enjeux fictionnels dans cet univers, dont certains étaient contradictoires. Après sept années de jeu, j'ai dégagé trois groupes d'enjeux fictionnels : la survie en milieu hostile, l'horreur épique, l'exploration dans une ambiance "chair et sang". Ma proposition a donc été de faire trois jeux différents dans le même univers, explorant chacun un seul type d'enjeu fictionnel, dans cet ordre :
Millevaux Sombre (j'utilise le jeu de rôle
Sombre dans l'univers de Millevaux),
Inflorenza et
Arbre.
Je n'ai hélas pas d'exemple autres à proposer dans cette troisième démarche, sinon qu'on peut voir dans les éditions successives d'un même jeu une approche similaire. De même qu'on peut apercevoir la même démarche si l'on considère des jeux d'auteurs différents dans le même univers. Ainsi, l'univers de Conan n'est absolument pas traité de la même façon dans
Slay with Me (variation sword & sorcery sur la Belle et la Bête) que dans
Barbarians of Lemuria (aventures picaresques et bastonnantes dans un univers sword & sorcery).