Je vais commencer par une remarque concernant le fait que votre partie se soit jouée un peu sur le mode de la dérision : Fabien utilise l'expression "taulards en liberté" pour qualifier le comportement de joueurs habitués à avoir un impact modéré sur la fiction et qui se retrouvent à jouer à un jeu où soudain ils peuvent conduire l'histoire ou décrire des choses qu'on ne leur demandait pas avant.
Du coup, ils éprouvent cette nouvelle liberté en testant sans arrêt les limites, en faisant un peu tout et n'importe quoi, confondant possibilités infinies et légitimité de faire n'importe quoi.
Une fiction en JdR est fragile, on a besoin d'un canon esthétique pour déterminer ses codes et de rejeter tout ce que les participants ne jugent pas crédible, tout ce qui est aberrant, hors de propos, sortant du cadre du canon établi... par exemple, intégrer une tortue ninja dans Star Wars, un hélicoptère dans les Terres du milieu (ou alors Saroumane a de plus grands pouvoirs que je ne l'imaginais) etc.
Donc, je te conseille de faire attention à ça si tu veux éviter le groupe de Zouk-métal, c'est un pan du contrat social entre les participants : rejeter les propositions illégitimes. Ça vaut aussi le coup de donner des indices du contexte général aux joueurs, du type d'ambiance recherché etc. avant de jouer. Je ne sais pas si l’univers est complètement ouvert en dehors de ce que tu nous expliques ou si c'est plus détaillé.
Si les joueurs ont plus de pouvoir sur la fiction, ils écopent en même temps de plus de responsabilités (n'est-ce pas ?). Il faut leur donner les moyens de se sentir responsables de la qualité de la partie.
Après, je me trompe peut-être, mais à la lecture de la présentation du jeu, je ne m'attendais pas à du burlesque. Peut-être que le reste de la partie était plus sérieuse malgré le thème de départ (encore que la reprise métal de la Compagnie Créole me laisse dubitatif). :D
En fait, ça me rappelle ma seule partie de Nobilis. Dans ce jeu, les joueurs inventent un concept qu'ils défendent et notre cher MJ d'un soir (Romaric pour ne pas le nommer) a pris l'exemple de la boîte à camembert pour nous expliquer comment ça fonctionne (pour un concept qui pue...). On ne s'est pas laissés influencer, mais malgré notre tentative de faire sérieux, la partie a tourné au n'importe quoi, avec des vagins géants qui crachent des gens fous et malades (ça c'était de mon invention), un rituel pour retourner dans notre sanctuaire tellement peu secret que n'importe qui commençait à nous envahir. Bref, c'était débile. Mon analyse : chaque jeu a un potentiel humoristique et je pense qu'il ne faut jamais le dépasser.
Nobilis a sans doute un potentiel énorme, mais malgré notre tentative de faire un truc bien et sérieux on est tombé dans une partie grotesque. Ça tient, je pense au fait qu'à part la cosmogonie du jeu, on n'a pas une idée très précise de l'ambiance (rien ne nous interdit de jouer le concept de la boîte à camembert, en lutte acharnée contre le papier d'emballage du munster) et que le travail que le jeu demande aux joueurs pour inventer leur concept et ce qui en dépend peut devenir un piège : certains concepts peuvent nous mener dans de très mauvaises directions alors qu'on ne s'y attend pas.
Il vaut mieux encadrer cette création dans le texte du jeu, en donnant les limites de ce qui est acceptable et comment éviter le genre d'écueils qu'on a subis à Nobilis.
En plus, les premières fois que tu testes ton jeu, exige des joueurs des choix canoniques, qui ressemblent à l'idée que tu t'en fais. AIguilles-les s'il faut. Ensuite tu pourras tester des trucs plus farfelus (quoi que je ne sais pas depuis combien de temps tu testes ton jeu).
Donc, chaque jeu a un potentiel comique. Ce n'est qu'un potentiel, libre aux joueurs et au MJ de l'exploiter ou non (il n'y a rien de pire qu'un jeu qui essaye de nous forcer à se faire rire). Il peut être très large ou très ténu, si tu juges que ton jeu fonctionne comme ça, pourquoi pas.
Autre point : qu'est-ce qui pose problème dans ton jeu ? Est-ce que c'est une société secrète qui essaye de contrecarrer les plans des PJ ? Est-ce que c'est des entités venue de l'idéosphère ? Est-ce des gens puissants et leurs sbires contaminés par des idées moisies ?
Même si tu veux une marge de manoeuvre, je pense que ça vaut le coup de développer cet aspect.
Aussi : je ne vois pas très bien l'implication de l'idéosphère dans votre partie, est-ce une lacune du compte-rendu, ou simplement que vous ne l'avez pas abordée ?
Je finis sur les points positifs :
- j'aime beaucoup l'idée de l'idéosphère,
- le fait de laisser les joueurs composer leur groupe et se choisir un objectif commun,
- le fait de laisser les joueurs conduire l'histoire, de mettre le MJ en retrait,
- le choix des caractéristiques de Sens est une bonne base, reste à voir comment l'intégrer dans ton jeu.
Le grand intérêt de la mécanique de Sens, sans dé etc. c'est qu'elle laisse au MJ, dans la plupart des cas, la possibilité de choisir lui-même quelle action réussit ou échoue. De cette manière, le MJ peut facilement sauver les révélations de son scénario et les mener à bon port.
Si tu crées un jeu où le MJ n'a pas de scénario pré-établi, tu gagneras à modifier la mécanique du jeu, de manière à ce que la détermination du succès ou de l'échec soit transparente (le MJ ne doit pas pouvoir bidouiller les caracs des PNJ derrière son écran) et que les joueurs aient une prise dessus (dépenser des points d'une réserve pour augmenter leur score). En plus, il fait que l'issue d'une confrontation propulse l'histoire en avant : jamais les joueurs ne doivent faire du sur-place, à chaque fois qu'un action réussit ou échoue, l'histoire doit progresser.
Dans Sens on s'en fout, puisqu'on a un scénar. Mais l'absence de scénar et de contrôle du MJ sur l'histoire demande de pousser sans arrêt les joueurs en avant et généralement, c'est par les règles et les conseils aux MJ que ça fonctionne. Si tu veux créer des simili scénarios, trouves une méthode d'écriture en alchimie avec le reste de ton système et explique-la dans ton bouquin. ;)
Bonne soirée,
Fred